jeudi 30 juillet 2015

Vestiges

  J’entamais ma dernière année à l’ULP(1) ‬lorsqu’un télégramme laconique m’annonça la mort de Dadazafy.‭ ‬Ma modeste condition d’étudiant,‭ ‬hélas ‭! ‬ne me permettait pas de rentrer.‭ ‬Je pensais à Razanany,‭ ‬sa femme ‭; ‬aux larmes inévitables de Raely,‭ leur fille,‭ ‬qui est aussi ma mère.‭ ‬Je les appelai pour leur dire que je ne venais pas ‭; ‬que je ne voulais pas garder le souvenir d’un visage mort.‭ ‬Ce mensonge tardif ne pouvait les abuser,‭ ‬mais elles ne firent aucun reproche.‭ ‬Une petite foule se presserait déjà autour d’elles et je crus comprendre que les divers préparatifs les distrayaient quelque peu de leur peine.‭ ‬Je me rendis compte,‭ ‬bien plus tard,‭ ‬que je n’avais pas une seule fois songé au disparu.‭ ‬J’ignorais même les causes de son décès.‭ ‬Je pouvais,‭ ‬certes,‭ ‬invoquer la distance qui tue les sentiments‭ ‬-‭ ‬j’étais à l’étranger‭ ‬- ‭; ‬je pouvais également me retrancher derrière cette particularité de la mémoire qui est d’oublier les justes pour s’encombrer d’exploits de truands,‭ ‬mais il est si facile de se justifier.‭ ‬Cet homme m’avait élevé et tant aimé et moi,‭ ‬je n’avais pas éprouvé le moindre chagrin.‭ Puissent les ancêtres pardonner un jour cette attitude indigne ‭!

mercredi 6 mai 2015

Brève rencontre


La première, elle m'avait vanté avec passion la supériorité du vers libre.
elle: La nature n'est pas corsetée, pourquoi la poésie le serait-elle ?
moi: Vers libres ou non, les mots, les phrases ne sont-ils pas déjà eux-mêmes des contraintes ?
elle: Tu raisonnes comme si la forme et le fond étaient distincts, or il ne faut pas. Un poème est à la fois forme et fond. Il n'y a donc pas de contrainte.
Encore aujourd'hui, cette sentence me hante et je n'ai pas fini de la ruminer.

La faute au sauvignon, la suite de la soirée fut plus embrumée, mais je me souviens qu'il était question de présence inhibante des grands aînés.
elle: Tu comprends, Rimbaud est indépassable. Même Michaux ne peut que creuser le même sillon
moi: Est-ce un mal ?
elle: Non, si tu t'appelles Michaux. Oui sinon.
Plus tard encore:
elle: Tu vois cette main ? Elle n'écrira jamais rien d'autre que des poèmes. Si je l'oublie, qu'elle tombe en poussière !

Elle s'appelait Pascale. Je l'avais rencontrée dans l'après midi chez une amie, rue des Fossés Saint-Jacques et nous nous sommes séparés, minuit largement passé, place de la Sorbonne. Je ne l'ai jamais revue, mais suis tombé récemment sur un article signé d'elle. Un de ses condisciples de kâhgne m'a confirmé que Pascale l'ancienne baba cool, la poète maudite d'antan était maintenant la plume acérée d'un puissant syndicat patronal. "Dommage", a t-il ajouté.

Pourquoi dommage ? Elle aura suivi le même chemin qui avait mené son maître en Abyssinie, il y a plus d'un siècle. Et Char, beaucoup plus rimbaldien qu'elle ne le pensait, ne lui aurait peut-être pas donné tort...

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!

Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l'enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.

Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme! On ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.
René Char, Fureur et mystère, 1962

Plein Ouest


   Autant qu’il m’en souvienne, Lisy, Mparany, Lemizo, et moi avions toujours traîné ensemble, tout au moins jusqu’à nos vingt ans. Nos chemins s’étaient séparés ensuite, mais nous avions veillé à rester en contact et nos rares retrouvailles avaient toujours été fêtées comme il se devait. Ces dernières années pourtant, et pour d’obscures raisons, Mparany avait pris ses distances. A aucun moment cet été, alors qu’il se trouvait à Antananarivo, il n’essaya de nous joindre. Comme je m’en plaignais, un soir, Lemizo fit mine de s’étonner :
   - Mais pourquoi aurait-il affaire à un chauffeur et un paysan ?
L’allusion était perfide - nous avions rêvé d’emplois plus prestigieux dans quelque grande entreprise ou dans la Finance - et la provocation grossière, mais je choisis de répondre le plus calmement du monde :
   - Cela ne tient pas. Lisy nous a bien écrit qu’à Paris aussi, il l’évitait. Elle a pourtant réussi, elle !
   - Alors, c’est qu’il n’aime pas les médecins non plus. Le vilain !

mercredi 11 mars 2015

Je sais

Je sais qu’au-delà des océans
se dressent des pays,
des hommes,
et encore des pays ;
que le monde est bien réel
malgré Berkeley
et que ma solitude
l’est tout autant.
Je sais que les métaphores
préexistent au langage, 
nous condamnant à la redite,
que les rencontres
ne naissent pas du hasard,
mais énumérer les causes
fatiguerait l’infini.
Je m’étonne, chaque fois,
que les ténèbres viennent effacer
les jours,
que notre histoire tienne en quelques lignes,
avant de sombrer dans l’oubli.
Comme tout un chacun,
mon temps est compté
et pourtant, je rêve d’éternité.
Je sais tant de choses,
mais je ne connais rien.

vendredi 20 février 2015

Cafés, Bars et autres lieux de perdition (4)

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Au dernier métro, Paris XVème

jeudi 19 février 2015

L'apprenti et Dieu.

  Plus feignant que mes trois jeunes frères, j'avais choisi d'apprendre le valiha plutôt que le piano quand il a fallu s'inscrire au conservatoire. Bonne pioche ! Très vite leurs cours avaient viré au cauchemar avec un prof allemand qui ne supportait ni les dos avachis, ni les poignets mous et encore moins les doigts trempés de sueur... alors que je me la coulais douce avec mon instrument primitif, basique et un enseignant bonhomme s'il en était.
  Comparés aux gammes et exercices qu'ils se farcissaient, mes entraînements étaient si childish que j'en avais mauvaise conscience. Je me rassurais en me disant que lorsque je jouerais comme Rakotozafy, l'argent des parents n'aura pas été dépensé pour rien.

  C'était avant. Il y a longtemps. Jamais je ne jouerai comme Rakotozafy, car personne au monde ne le peut. Paddy Bush avait appelé son documentaire sur notre grand homme "Like a God when he plays." Je l'aurais réalisé, j'aurais fait moins long: "God".

  Aujourd'hui, j'ai un bon niveau qui impressionne parfois ceux qui aiment la musique traditionnelle mais n'en jouent pas. Ils me mettent mal à l'aise avec leurs louanges et je voudrais qu'ils mesurent la différence qui peut exister entre un amateur et un maître.

 Voici "Ny fitia raha vao miaraka" shooté avec mon phone lundi dernier;

puis par Rakotozafy, un enregistrement du début des années 60. Soyez sympa avec vos oreilles, écoutez mon interprétation en premier :-)

mardi 30 décembre 2014

Cafés, Bars et autres lieux de perdition (3)

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Le Jaurès Café, Paris XIXème