C'est bien la première fois que j'abandonne la lecture d'un livre parce qu'il est mal traduit... Enfin je suppose qu'il est mal traduit parce que je ne parle pas un traître mot de japonais. Le livre en question est Danse, danse, danse d'Haruki Murakami* sorti en 1995 (oui, je m'y prends tard, mais je n'ai pas lu l'Enfer de l'Alighieri non plus, et il a été écrit bien plus tôt encore)
En fait, je l'ai lu une première fois au début de l'été, mais il m'avait mis dans un tel état de frustration que je m'étais promis de le reprendre un peu plus tard. J'avais mis cette frustration sur le compte d'une difficulté à passer d'un univers culturel à un autre: je venais de terminer le loufoque et baroque Verre Cassé d'Alain Mabanckou. J'étais d'autant plus désespéré que j'y avais retrouvé les personnages un rien erratiques, les mêmes dialogues plats, les sentiments sans effusion, la mélancolie sans tristesse, l'atmosphère surréaliste qui sont la marque de l'écrivain. Je soupçonnais certes - déjà - un problème de traduction, mais ne voulant pas gâcher mes vacances, j'avais décidé d'attendre de pouvoir torturer le net pour en avoir le coeur... net (je me trouvais dans ce fameux 1% du territoire que la 3G+ d'Orange ne couvre pas)
Ces jours-ci, personne autant que moi n'a fait cracher à Google des infos sur cet écrivain et voici, entre autres, ce qu'il en ressort:
- Corinne Atlan a traduit tous les livres de Murakami SAUF les deux seuls que j'ai lus de lui auparavant (ben voyons !). La course au mouton sauvage l'a été par Patrick de Vos et la Balade de l'impossible par Rose-Marie Makino-Fayolle
- Danse, danse, danse est bien la suite de La course au mouton sauvage - qui m'avait enchanté - voilà pourquoi, j'insiste tant pour m'y replonger.
- je suis déçu ne n'avoir rien trouvé à propos de la qualité des traductions de la dame sus-nommée et pourtant...
Les erreurs flagrantes se disputent aux incorrections probables, et ceci ne devrait échapper à personne, même aux non japonisants
les fautes certaines de traduction:
- Murakami aimant beaucoup le Jazz, ses romans regorgent de titres de chansons et morceaux en anglais. Un traducteur, me semble t-il, devrait connaître la règle de base qui veut que l'on ne traduise pas les titres des standards. Personne ne songerait à parler de la Femme sophistiquée d'Ellington, ou de l'Ainsi soit-il des Beatles. Or, p. 404, Moonlight in Vermont devient Lune du Vermont (incorrect d'ailleurs: Clair de lune eût été plus approprié s'il fallait absolument traduire). C'est d'autant plus incompréhensible que dans la même phrase, elle laisse, tels quels, les autres titres, Stardust et But not for mine (en passant, elle écrit Star Dust, en deux mots,... aarrrghhh).
- Corinne Atlan est définitivement fâchée avec l'anglais: Japan Airlines devient Japan Air Lines (c'est peut-être de l'anglais ancien, mais de toutes façons sa compagnie n'existe pas)
Et puis, elle traduit mot à mot les noms d'avions. F-4 Phantom devient Fantôme F-4 ??? J'imagine que si dans son prochain livre Murakami parle de F-16 Falcon ou d'Airbus A 320, elle écrirait Faucon F-16, Bus de l'air A 320...
les fautes probables de traduction
Probables parce que certaines tournures ne sont tout simplement pas plausibles. Florilège:
J'ai pris ces quelques extraits au hasard, mais tout le livre est à l'avenant. Je pourrais épingler l'abus du mot çà - qui parsème toutes les pages -; je pourrais aligner des dizaines et des dizaines de maladresses dignes d'un élève du collège...
D'aucuns pourraient arguer qu'il n'est pas impossible que Corinne Atlan traduise fidèlement le japonais de Murakami, et que, tant que nous ne maîtriserons pas nous-même cette langue, nous serons dans l'incapacité de décider lequel des deux est mauvais. Cette objection, à mon sens, ne tient pas. D'un, j'ai sous les yeux le livre traduit par Patrick de Vos et je n'y décèle aucune faiblesse. Et de deux, j'ai déniché un extrait de la version anglaise de Danse, danse, danse. Je mets en exergue le cinquième paragraphe pour que vous puissiez comparer:
* Pour cette note, je me réfère à cette édition
En fait, je l'ai lu une première fois au début de l'été, mais il m'avait mis dans un tel état de frustration que je m'étais promis de le reprendre un peu plus tard. J'avais mis cette frustration sur le compte d'une difficulté à passer d'un univers culturel à un autre: je venais de terminer le loufoque et baroque Verre Cassé d'Alain Mabanckou. J'étais d'autant plus désespéré que j'y avais retrouvé les personnages un rien erratiques, les mêmes dialogues plats, les sentiments sans effusion, la mélancolie sans tristesse, l'atmosphère surréaliste qui sont la marque de l'écrivain. Je soupçonnais certes - déjà - un problème de traduction, mais ne voulant pas gâcher mes vacances, j'avais décidé d'attendre de pouvoir torturer le net pour en avoir le coeur... net (je me trouvais dans ce fameux 1% du territoire que la 3G+ d'Orange ne couvre pas)
Ces jours-ci, personne autant que moi n'a fait cracher à Google des infos sur cet écrivain et voici, entre autres, ce qu'il en ressort:
- Corinne Atlan a traduit tous les livres de Murakami SAUF les deux seuls que j'ai lus de lui auparavant (ben voyons !). La course au mouton sauvage l'a été par Patrick de Vos et la Balade de l'impossible par Rose-Marie Makino-Fayolle
- Danse, danse, danse est bien la suite de La course au mouton sauvage - qui m'avait enchanté - voilà pourquoi, j'insiste tant pour m'y replonger.
- je suis déçu ne n'avoir rien trouvé à propos de la qualité des traductions de la dame sus-nommée et pourtant...
Les erreurs flagrantes se disputent aux incorrections probables, et ceci ne devrait échapper à personne, même aux non japonisants
les fautes certaines de traduction:
- Murakami aimant beaucoup le Jazz, ses romans regorgent de titres de chansons et morceaux en anglais. Un traducteur, me semble t-il, devrait connaître la règle de base qui veut que l'on ne traduise pas les titres des standards. Personne ne songerait à parler de la Femme sophistiquée d'Ellington, ou de l'Ainsi soit-il des Beatles. Or, p. 404, Moonlight in Vermont devient Lune du Vermont (incorrect d'ailleurs: Clair de lune eût été plus approprié s'il fallait absolument traduire). C'est d'autant plus incompréhensible que dans la même phrase, elle laisse, tels quels, les autres titres, Stardust et But not for mine (en passant, elle écrit Star Dust, en deux mots,... aarrrghhh).
- Corinne Atlan est définitivement fâchée avec l'anglais: Japan Airlines devient Japan Air Lines (c'est peut-être de l'anglais ancien, mais de toutes façons sa compagnie n'existe pas)
Et puis, elle traduit mot à mot les noms d'avions. F-4 Phantom devient Fantôme F-4 ??? J'imagine que si dans son prochain livre Murakami parle de F-16 Falcon ou d'Airbus A 320, elle écrirait Faucon F-16, Bus de l'air A 320...
les fautes probables de traduction
Probables parce que certaines tournures ne sont tout simplement pas plausibles. Florilège:
Chaque année, sans coup férir, à chaque renouveau de la nature, cette odeur était là, impalpable, délicate, mais toujours exactement semblable. p.232sans coup férir ? Immanquablement eût été mieux, non ? Et impalbable ? une odeur ?
la scène se passe dans l'immeuble d'un quelconque bureau, et quatre ascenseurs alignés et ouverts, sans cloisons, ni portes, montent et descendent rapidement. Gotanda en costume sombre, un attaché case dans les bras, monte dedans. Il a tout l'air d'un salarié de haut niveau. p. 468Immeuble d'un quelconque bureau ? Qu'est ce que cela peut bien vouloir dire ? Et salarié de haut niveau ? Ne voulait-il pas parler d'un cadre supérieur, tout simplement ? Si Gotanda avait été un planton, aurait-on eu droit à salarié de bas niveau ?
Quand elles [une mère et sa fille] étaient ensemble, elles ne dégageaient pas la même atmosphère que séparément... p.461Depuis quand des personnes dégagent-elles une atmosphère ?
J'ai pris ces quelques extraits au hasard, mais tout le livre est à l'avenant. Je pourrais épingler l'abus du mot çà - qui parsème toutes les pages -; je pourrais aligner des dizaines et des dizaines de maladresses dignes d'un élève du collège...
D'aucuns pourraient arguer qu'il n'est pas impossible que Corinne Atlan traduise fidèlement le japonais de Murakami, et que, tant que nous ne maîtriserons pas nous-même cette langue, nous serons dans l'incapacité de décider lequel des deux est mauvais. Cette objection, à mon sens, ne tient pas. D'un, j'ai sous les yeux le livre traduit par Patrick de Vos et je n'y décèle aucune faiblesse. Et de deux, j'ai déniché un extrait de la version anglaise de Danse, danse, danse. Je mets en exergue le cinquième paragraphe pour que vous puissiez comparer:
A mysterious hotel.et cette traduction qui me chagrine tant:
What it reminded me of was a biological dead end. A genetic retrogression. A freak accident of nature that stranded some organism up the wrong path without a way back. Evolutionary vector eliminated, orphaned life-form left cowering behind the curtain of history, in The Land That Time Forgot. And through no fault of anyone. No one to blame, no one to save it.
The hotel should never have been built where it was. That was the first mistake, and everything got worse from there. Like a button on a shirt buttoned wrong, every attempt to correct things led to yet another fine--not to say elegant--mess. No detail seemed right. Look at anything in the place and you'd find yourself tilting your head a few degrees. Not enough to cause you any real harm, nor enough to seem particularly odd. Who knows? You might get used to this slant on things (but if you did, you'd never be able to view the world again without holding your head out of true).
C'était un drôle d'hôtel.Ite missa est. Il ne me reste plus qu'à lire Murakami en anglais. Ce qui est incompréhensible c'est le concert de louanges (ceci par exemple) qui accueille, à chaque fois, les livres du Japonais; louanges émanant de critiques professionnels. C'est moi qui chipote ou ils ont quelque chose dans les yeux ?
Il me faisait penser à un organisme arrêté en cours d'évolution. Une régression génétique. Un organisme atteint de malformation et qui, incapable d'inverser le processus, continue à évoluer dans la mauvaise direction. Un organisme solitaire, tous ses vecteurs d'évolution effacés, abandonné à jamais dans le crépuscule de l'histoire. Vallée oubliée par le temps. Mais ce n'est la faute de personne. On ne peut tenir personne pour responsable, personne n'y peut rien.
Pour commencer, on aurait jamais dû construire un hôtel à cet endroit, c'est là que les erreurs ont commencé. Il y a eu erreur dès le départ et, fatalement, ça a semé le désordre dans tout l'édifice. Chaque essai pour redresser les choses a de nouveau donné naissance à un léger désordre. Résultat, tout s'est mis peu à peu à se déformer. Si on essaie de regarder tout ça en face, on est obligé, par un phénomène naturel, de pencher plusieurs fois le cou. Un genre de distorsion. Comme on penche la tête selon un angle à peine prononcé, on ne se rend pas vraiment compte de ce qui cloche dans cette position, et on finit même par s'habituer. Pourtant il y a à n'en pas douter une distorsion, presque imperceptible, certes, mais telle que si l'on s'y habitue, on ne pourra plus s'empêcher de tout regarder, même le monde normal, en inclinant légèrement la tête. p. 9
* Pour cette note, je me réfère à cette édition
4 commentaires:
Mon Dieu, vous m'avez gâché mon plaisir. J'ai adoré ce livre, pas une seule seconde je n'ai pensé à ces histoire de traduction. Ce matin, je l'ai repris et je suis troublée... C'est vrai qu'il y a bien des passages étranges. C'est vrai que dès le début le français est bizarre. Pourquoi ne l'avais-je pas remarqué ? Je vais l'oublier un peu et le reprendre plus tard, histoire de me défaire de votre influence :-) Je demanderai aussi à mon frère, professeur de collège son avis. Matt m'a filé l'adresse de votre blog depuis quelques semaines déjà, mais je ne m'y suis intéressée que depuis ce matin, et je me régale. Merci pour tous les liens dont vous n'êtes pas avare. Une métisse gasy de la Réunion.
Comme la commentatrice ci-dessus, j'ai adoré ce livre, et malgré vos remarque, il me plaît toujours autant. Je pense que ce qui est important en littérature ce sont les idées véhiculées; l'esprit et non la lettre; l'imaginaire et non le factuel. Et Murakumi excelle dans l'art de nous emmener "ailleurs".
Savez-vous par ailleurs que Corinne Atlan est une fin connaisseuse du Japon ? Qu'elle y a vécu plus d'une dizaine d'années et qu'elle y a enseigné ? Pensez-vous qu'une grande maison d'édition comme Belfond confierait à n'importe qui le soin de traduire un des plus grands écrivains japonais vivants ? Ce que vous lui reprochez, en réalité, vous le reprochez à Murakami. Ce que vous appelez "fautes" ou "maladresses" sont des figures de style de l'écrivain. Comme vous, je ne parle pas le japonais, mais je peux tout à fait imaginer que ce style "incertain", soit en rapport avec la destruction du réel qui est la marque de fabrique de Murakami.
Pour vous donner un autre exemple, j'ai le souvenir d'avoir lu le roman d'un très grand écrivain nigérien bourré de ce qui peut apparaître comme des fautes graves de grammaire, alors que c'était volontaire. L'écrivain (je ne me rappelle plus son nom, mais il ne doit pas y avoir beaucoup d'écrivain nigérien) raconte l'histoire d'un ivrogne analphabète, et il choisit de le faire en utilisant sciemment le vocabulaire forcément fautif d'un ivrogne analphabète. Je dois ajouter que ce roman a été traduit de sa langue maternelle au français par un grand écrivain français (Gide ou Perrec) et qui a bien entendu gardé les tournures erronées du roman originel.
Tout ce qui précède pour vous dire que vous éreintez Corinne Atlan à tort, à mon avis. Tous les romans qui sont publiés, et fortiori ceux des écrivains célèbres, ont passé plusieurs filtres en amont, et une mauvaise traduction aurait été éliminée bien avant sa parution. Si, "Danse, danse, danse" est sorti, avec le succès que l'on sait, c'est qu'il n'est donc pas si mal traduit. CQFD.
Ne prenez pas mal mon ton un peu dur, mais je dis ce que je pense, et cela ne m'empêche pas d'apprécier votre blog que j'ai mis dans mes favoris.
P.S. Je déduis de ce que vous aviez écrit plus tôt dans ce blog que vous êtes malgache. Rassurez-moi, vous aimez aussi la musique de votre pays ? Ce serait génial si vous pouviez nous donner un aperçu. Je pourrais ainsi la comparer avec celle du "Caillou" où je me trouve. Bonne journée.
->pelaravo: je suis désolé, ce n'était pas mon but, mais je vous conseillerais de lire - si vous ne l'aviez déjà fait - la course au mouton sauvage dont la traduction me parait réellement excellente.
->marion: je viens de relire deux autres livres de Murakami, et je pense écrire un dernier billet sur cet auteur d'ici peu. Je garde en tête votre commentaire, et dans ma rédaction, j'y répondrai d'une manière ou d'une autre
Enregistrer un commentaire